Nous nous sommes adressés au conseil scientifique en charge auprès du gouvernement de la crise sanitaire du Coronavirus lui demandant de préconiser les mesures nécessaires au lieu de simplement « accompagner » et défendre la politique du gouvernement.
Contenu intégral de la lettre
Lettre aux membres du conseil scientifique sur le Covid-19
Paris le 23 mars 2020
Monsieur le Président, mesdames et messieurs les membres du conseil scientifique,
Les leçons des précédentes catastrophes sanitaires (sang contaminé et amiante principalement) avaient été tirées avec la création d’agences de sécurité sanitaire indépendantes chargées d’évaluer les risques et de rendre des avis scientifiques indépendants de l’autorité politique, à qui il revient de prendre ses décisions à la lumière de ces avis. La règle de base en la matière, c’est la séparation de l’évaluation des risques et de leur gestion par le pouvoir politique.
Le « Conseil scientifique » auquel vous appartenez, dont les membres ont tous été directement choisis par le gouvernement et dont la première réunion s’est tenue le 12 mars, à la demande du Président de la République, sous les lambris même du palais de l’Elysée, déroge à toutes les règles en matière d’expertise scientifique et repose sur la confusion des genres. Le conseil s’est contenté à ce jour d’accompagner la politique des petits pas décidée par le gouvernement, qui consiste à « gérer » l’épidémie en augmentant progressivement la sévérité des mesures de prévention en fonction de l’évolution de la situation. Employer cette méthode face à une croissance exponentielle comme celle du COVID-19 est une grave erreur scientifique qui se mesurera en milliers de morts supplémentaires et qui ne devrait en aucun cas être cautionnée par un conseil scientifique. Pas plus que ne devraient l’être les affirmations d’un ministre de la santé visant à discréditer l’usage des masques, en prétendant, entre autres, que pour être contaminé par une personne porteuse du virus, il faudrait rester à moins d’un mètre pendant plus de 15 minutes.
Nous sommes arrivés ces derniers jours au summum de la confusion des genres. Les responsables gouvernementaux ont presque disparu des radars et ce sont maintenant des membres du conseil scientifique qui se répandent sur les médias pour accompagner et justifier la politique suivie par le gouvernement.
Le rôle d’un conseil scientifique n’est pas d’habiller d’un vernis scientifique des décisions politiques irresponsables, comme il l’a fait pour la tenue des élections, mais de recommander de façon claire et précise, sans compromis aucun, ce qu’il faut faire pour arrêter le plus vite possible l’épidémie sur la base des données scientifiques existantes. Il appartiendra alors au gouvernement de prendre ses responsabilités et de décider de suivre ou non ces recommandations.
Le « Conseil scientifique » ne doit pas persister dans l’erreur. Il doit se ressaisir, prendre son indépendance et préconiser la seule méthode possible de lutte contre l’épidémie au stade où nous en sommes, à savoir l’inverse de la méthode utilisée jusqu’ici : casser la croissance exponentielle par un confinement complet, qui pourra être levé progressivement ensuite. Il doit cesser de naviguer en eau tiède et faire enfin les recommandations qui s’imposent (et que de nombreux français attendent, si j’en crois les courriers que je reçois).
- Il faut recommander la mise en œuvre immédiate d’un confinement complet ce qui signifie : arrêt de toutes les activités non essentielles et de tous les déplacements non essentiels. Tous les transports en communs doivent être interrompus et seuls les transports individuels des personnes assurant des activités essentielles doivent être autorisés.
- Il faut recommander au gouvernement d’équiper de masques non seulement le personnel soignant au sens large, mais toutes les personnes qui assurent une fonction essentielle au contact d’autres personnes, en particulier toutes celles qui travaillent dans des magasins.
- Il faut recommander l’usage généralisé des masques pour la population générale dans tous les déplacements. Il s’agit d’une des trois mesures de base de la lutte contre la propagation des virus, avec le lavage des mains et la réduction du nombre de contacts. Elle est utilisée avec succès par tous les pays du sud-est asiatique. Elle était recommandée en 2011 par le Haut Conseil de Santé Publique. Elle est rendue encore plus indispensable par l’existence de sujet contaminants et asymptomatiques. Le fait que la France, faute d’avoir anticipé, ne dispose pas de suffisamment de masques, ne peut-être une excuse pour ne rien faire. Le conseil doit demander au gouvernement de diffuser des tutoriels officiels expliquant comment réaliser des masques artisanaux et comment en faire bon usage. Leur efficacité est évidente et scientifiquement démontrée.
- Il faut recommander la généralisation de l’usage des tests. Il faut tester et isoler les personnes contaminées, quand bien même leur état ne nécessite aucun soin. Cela peut se faire en réquisitionnant des hôtels et des dortoirs de lycées. Ne pas le faire, c’est contaminer à chaque fois toutes les personnes du foyer et multiplier le nombre de malades et de morts par 2.
- Il faut demander instamment au gouvernement de dire la vérité aux français, sur les protections nécessaires bien sûr, mais aussi sur l’ampleur de la catastrophe à venir, car c’est à cette seule condition que la parole publique redeviendra crédible et que les restrictions imposées seront comprises et scrupuleusement suivies par les français. Il ne suffit pas de fournir chaque jour le nombre de cas confirmés et de décès, il faut donner aux français les projections disponibles sur le nombre de décès attendus si le confinement n’est pas appliqué et sur le nombre de vies qu’il permettra de sauver, avec les certitudes et les incertitudes qu’elles comportent.
- Il faut enfin demander au gouvernement de préparer dès maintenant les conditions de sortie de confinement à échéance de deux mois, et de la préparer dans l’hypothèse la plus défavorable, à savoir l’absence de traitement et l’absence d’influence du changement climatique. Dans ces conditions, il faudra adopter une stratégie de prévention comparable à celles en vigueur dans les pays du sud-est asiatique, qui si elle avait été prise en amont aurait pu éviter le confinement complet. Mettre en oeuvre dans notre pays une telle stratégie suppose une préparation préalable au niveau matériel, mais aussi au niveau humain, par une pédagogie visant les enfants comme les adultes. Deux mois ne seront pas de trop pour y parvenir.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du conseil, ayez le courage de faire ces recommandations. Des milliers de vies en dépendent.